Attention: contenu descriptif sur le thème de l’explosion du port de Beyrouth qui pourrait déranger certains lecteurs. La discrétion du lecteur est avisée.
Pour beaucoup de personne au Liban, la vie s’est arrêtée après le 4 août 2020 à 6:07. Les horreurs de ce moment et de cette journée semblaient apocalyptique.
Le deuil collectif, le traumatisme permanent et la dévastation morale sont toujours présents. 961News a entendu le témoignage des survivants.
Pour plus de 730 jours, les survivants de l’explosion de Beyrouth et les familles des victimes attendent la justice, mais en vain. Leurs demandes résonnent dans le vide face à la négligence et l’intransigeance des coupables.
Aujourd’hui, alors que la marche organisée s’exprime au nom des victimes dans les rues de Beyrouth, les survivants revivent les horreurs du moment imprimé dans leur mémoire et sur leur corps.
961News a parlé à certains d’entre eux. Voici leur histoire :
Marie-Therese Hanna
Comme d’habitude, Marie-Thérèse était assise dans sa chambre en train de travailler sur son ordinateur portable. Quand elle a entendu la première explosion, la fenêtre a tremblé, mais elle a pensé que c’était l’un des bruits habituelles du port.
Quand elle s’est levée pour jeter un coup d’œil de sa fenêtre à Gemmayzé, la deuxième explosion a retenti. Tout ce qu’elle a pu faire est de se retourner pour essayer de s’échapper.
“Quand j’ai essayé d’ouvrir mes yeux, j’ai cru rêver. Je ne pouvais voire que des débris qui sonr tombés sur moi. J’ai fermé mes yeux, je pensais être toujours en train de rêver”, dit Hanna.
À cause des débris tombés sur ses poumons, Marie-Thérèse arrivait à peine à respirer. Alors qu’elle essayait de se lever, elle a remarqué qu’un de ses bras et une de ses jambes étaient coincés sous les débris.
“Tout ce dont je me souviens, c’est que je n’arrêtais pas de prier. Au fur et à mesure des prières, je regagnais plus de force pour me lever”.
“Quand je me suis levée, j’ai réalisé que je n’avais perdu aucune partie de mon corps. J’ai levé alors ma tête vers le ciel et j’ai remercié le Christ”, a-t-elle ajouté.
Elle arrivait à peine à marcher. Toutefois, elle ne pensait qu’à s’échapper. Elle est sortie pieds nus. Sa vision a presque disparu. Sa jambe saignait. Elle haletait sans cesse.
“Je souffrais et j’ai baissé les bras à ce moment-là. J’ai ouvert mes yeux et j’ai demandé à Dieux “Je t’attends, viens me chercher””.
Heureusement, un homme est arrivé et la transporté dans une ambulance.
Après avoir repris conscience, elle a essayé de chercher un téléphone pour appeler sa famille.
Même si elle essayait de rester éveiller, sa situation ne faisait qu’empirer.
“J’ai ouvert les yeux à un jeune de 15 ans qui essayait de me réveiller et Motasem Al-Naha était là”.
L’acteur syrien l’a transporté dans sa voiture à l’hôpital Al-Hayek d’où elle a appellé sa sœur et son petit ami.
“Ma sœur est arrivé de Verdun jusqu’à mon appartement à pieds. Elle croyait que j’étais coincée sous les décombres. Mais quand elle a vu l’emprunte de ma main ensanglantée sur le mur et mes flip-flops, elle a compris que j’étais toujours en vie”.
Marie-Thérèse a continué à souffrir après l’explosion. Elle ne pouvait pas sortir du lit pendant quatre mois. Son corps était couvert de verre. Elle a dû retirer elle-même de sa jambe un débris de verre de 25 cm, et cela, sans anesthésie.
“Je suis une danseuse, et jusqu’à présent, je ne peux plus danser comme avant”.
Elle a toujours des débris de verre dans les jambes, car elle était pieds nus. De plus, ils sont difficiles à voir sur le scanner. Ces débris ne peuvent pas être retirés de sa jambe.
“J’ai visité plusieurs thérapeutes, mais aucun n’a réussi à m’aider. Il y a un mois, j’ai commencé à me rétablir. Je fais toujours des crises d’angoisse. Je ne peux plus voir de sang, entendre de bruit fort comme celui des avions ou même voir du verre brisé”.
Tatiana Hasrouty
Au moment de l’explosion, Tatiana était à la maison à Sin el Fil avec sa mère, sa sœur enceinte et son époux. “J’étais allongée sur mon lit quand j’ai ressenti le premier tremblement de terre. J’ai couru pour le dire à ma mère, car je n’avais jamais ressenti un tremblement avant ce jour-là”.
Tatiana a commencé à chercher un endroit où se cacher. Sa mère pensait que le bruit venait de la zone de “Dora” car beaucoup d’explosions avaient lieu là-bas durant la guerre civile.
C’est alors que la deuxième explosion a eu lieu. Elle l’a projetée de près de son lit en dehors de sa maison. Elle dit : “Toutes les fenêtres étaient brisées, mais aussi la fontaine d’eau fraîche et l’armoire”.
“Quand on a annoncé à la télévision que l’explosion était au port. Nous avons immédiatement commencé à appeler mon père mais, aucune réponse”.
Son père travaillait au port. Mais il n’était pas censé travailler ce jour-là, car il avait déjà changé son emploi du temps du 4 août au week-end prochain. Cependant, tout a changé la veille de l’explosion au soir, en impactant sa famille à jamais.
“À 5:30, il nous a appelés pour nous dire qu’il ne rentrera pas déjeuner avec nous, car un navire de blé arrivera ce soir et il devait rester au port. Il n’est jamais revenu”, raconte Tatiana.
“Après toute une journée, aucune personne du gouvernement n’a déclaré que 7 travailleurs étaient aux silos à grains du port lors de l’explosion et qu’ils étaient toujours portés disparus”. Ils nous ont dits qu’ils n’y avaient pas le matériel nécessaire pour essayer de les trouver”, a-t-elle ajouté.
“Ma maman ramassait les morceaux de verre et n’arrêtait pas de pleurer. Les gens commençaient à nous poser des questions sur mon père, mais nous n’avions aucune nouvelle”.
Tatiana n’arrêtait pas d’appeler le ministère de la Santé, mais ils ne lui ont jamais communiqué d’informations. Il ne l’ont pas aidé à trouver son père.
Elle dévoile : “Nous étions perdus. Normalement, quand vous faites face à un problème, vous vous tournez vers votre père, mais mon père n’était pas là cette fois-ci. Je n’avais personne sur qui compter durant cet énorme incident”.
“Le gouvernement était négligeant”, elle continue. “Après mon interview télévisée, beaucoup de personnes m’ont contacté. La Croix-Rouge m’informait constamment. Un officier français a également essayé de m’aider. Après plus de 10 jours, il a été retrouvé”.
“C’était traumatisant, et même après deux ans, je me sens toujours frustré. J’ai conscience de ce qui s’est passé, mais je n’arrive toujours pas à regarder des photos de mon père.”
“Son rêve était de me voir diplômer, mais le gouvernement m’a empêché d’avoir mon père à mes côtés durant ce jour si important”, dit-elle.
A.K., 20 ans
“Quand l’explosion a eu lieu, j’étais dans un des parking de Mar Mikhaël près du restaurant The Bros”. A.K. était accompagné par la famille de son frère. Ils étaient toujours dans la voiture quand l’explosion a eu lieu.
Il raconte : “Les fenêtres arrières et les miroirs ont été brisés, mais heureusement, les fenêtres avantes étaient ouvertes, ce qui a baissé la pression dans la voiture”.
A.K. a beaucoup souffert mentalement. “Depuis l’explosion, dès que j’entends un bruit fort, je suis en état d’alerte et de terreur, car les bruits me rappellent tous les souvenirs douloureux”, il déclare.
Il visite un psychothérapeute qui l’aide à faire face à ses sentiments. Selon lui, elle lui a été d’une grande aide puisqu’elle lui a donné des conseils pour réduire sa situation d’alerte.
“Maintenant, je suis capable de me réconforter, même si je reste en alerte durant certaines situations. Je me dis que je suis toujours là, que je suis sain et sauf”.
“Mais, aujourd’hui, rien n’est sûr au Liban. À n’importe quel moment une explosion peut avoir lieu”, dit-il, exprimant ainsi ce que beaucoup trop de Libanais ressentent alors qu’ils vivent chaque jour avec les traumatismes causés par l’explosion du port de Beyrouth.
L.H., 19 ans
L.H. était à la maison à Mar Mikhaël avec son ami en train d’étudier pour le SAT. Au moment où elles ont entendu l’explosion, elles ont couru voir le père de L.H. pour voir ce qui se passe.
Le père a essayé de les calmer en expliquant que c’était des bruits d’avions. Néanmoins, ils se sont réfugiés dans le corridor de peur que quelque chose n’arrive.
Son père et son petit frère se tenaient devant la fenêtre pour voir ce qui se passait. C’est à ce moment-là que la deuxième et la plus forte explosion a eu lieu. Son père a été projeté d’un endroit à un autre. Les portes se sont effondrées en lui tombant sur la tête et en le blessant.
L.H., son ami, sa mère et son frère sont tombé l’un sur l’autre dans le couloir. Son frère se trouvait au sommet et deux portes des pièces voisines lui sont tombées dessus. Il était le plus blessé entre tous.
“Heureusement, la mère de mon ami était à proximité de chez nous. Elle est arrivée et a transporté ma mère, mon ami et moi à l’hôpital. Nous avons visité des hôpitaux dans 4 régions différentes et nous nous sommes retrouvés à Batroun. Trouver un hôpital n’était pas une tâche facile. Ils étaient tous bondés”.
“Mon oncle a accompagné mon père et mon frère à l’hôpital. Eux aussi avaient du mal à en trouver un”.
Son père avait une grave blessure à la tête et son frère avait mal partout.
“Personne ne nous a aidé ni le gouvernement libanais ni les ONGs. Tout ce que vous avez vu à la télé n’était que des mensonges. Les ONGs ne cessaient de taper à notre porte pour collecter des données. Mais ils ne sont jamais venus pour nous offrir une véritable aide. Nos voisins n’ont jamais reçu d’aide non plus”.
“Une fois, une ONG est venue et a proposé de seulement réparer les portes. Mais c’était épouvantable. Les réparations étaient de très mauvaises qualités et ils faisaient semblant d’aider, mais ils ne le faisaient pas vraiment”.
L.H. a longtemps été traumatisée. Au début, elle et son frère avaient toujours peur de rester ou de dormir seuls. Maintenant, elle est toujours terrifiée quand elle entend la porte claquée ou le son du feu d’artifice.
“Si j’entends, n’importe quel bruit, j’ai peur et je commence à me demander si une autre explosion peut avoir lieu ? Si une explosion d’une telle ampleur est possible, une autre pourra avoir lieu aussi”.
“À chaque fois que je me souviens de ce jour-là, je me dis que j’aurai pu mourir. J’aurais pu être morte avant d’accomplir quoi que ce soit durant ma vie. Ça me fait vraiment peur”, avoue-t-elle.
Hussein Haidar
“J’étais au travail, près du port, avec 5 amis quand j’ai entendu la première explosion. Nous étions descendus pour voir ce qui se passait. Mon ami était en train de filmer la fumée et nous étions tous en train d’observer cette scène effrayante”, dévoile Hussein.
Après quelques secondes, quand nous avons vu la fumée s’approcher, mes amis et moi avons essayé de s’échapper.
“Après ce moment, je ne me souviens plus de rien. Tout ce dont je me souviens est que l’homme de la sécurité nous a transporé dans un van à l’hôpital le plus proche”.
Quatre des cinq jeunes hommes, notamment Hussein, étaient gravement blessés.
Hussein est resté une semaine à l’hôpital. Des débris de verre ont pénétré sa tête. Les ligaments de ses bras se sont déchirés. Il a dû avoir recours à une opération chirurgicale pour les réparer.
Aujourd’hui, il vit avec un bras plein de métaux après des mois de physiothérapie pour retrouver une certaine fonctionnalité.
Il a toujours un débris de verre coincé dans l’œil.
“Ce débris de verre ne peut pas être retiré. Il va rester dans mon œil et aucune opération n’est possible. Mais mon médecin m’a dit que ce n’était pas dangereux”.
“Il y a un mois, après deux ans, des débris de verre sont sortis de mon front et de mes yeux”.
Au début, le gouvernement a payé les factures d’hôpital, mais par la suite, il a du tout payer lui-même. Hussein a été capable de surmonter l’incident, mais il ne fait plus confiance au gouvernement et son seul souhait est de quitter le pays.
S.K., qui à la soixantaine, Mar Mikhaël
Durant les premiers moments de l’explosion, S.K. ne comprenait pas ce qui se passait et ne sentait pas qu’elle était blessée, même si, elle avait révélé à 961News, les débris de verre avait écraser son visage, son dos et ses jambes.
Ce qu’elle a vu quand elle est descendue dans la rue était d’autant plus choquant. Une mer de sang, des cris et des pleurs partout.
“Je ne savais pas quoi faire”, dit-elle. Un étranger lui a proposé de la conduire à un hôpital.
“Nous avons fait le tour de trois hôpitaux, mais ils étaient tous détruits et les victimes étaient allongées sur les rues près des hôpitaux. Je ne pouvais pas trouver un endroit pour soigner mes blessures à Beyrouth. Je me suis fait soigner aux alentours de la ville”.
Après avoir vu le degré de destruction qui a ravagé les hôpitaux et le grand nombre de blessés, elle a commencé à se poser des questions sur la puissance de l’explosion.
S.M., une infirmière dans les trentaines
“C’était une journée de travail normal à l’hôpital à Achrafieh, quand j’ai entendu une petite explosion, et nous avons vu de la fumée noir montée du port”, déclare S.M.
“Je suis sortie vers le couloir qui relie les chambres des patients. Soudainement, j’ai entendu un violent boom et le bâtiment a commencé à trembler”.
“Ma première réaction était de mettre la main sur ma tête, une partie du plafond est tombée sur moi et du verre a été brisé de partout. Je n’attendais pas à ce que mes collègues soient encore en vie”.
S.M. avait essayé de se sortir des débris, ignorant ses propres blessures. Elle a couru voir les 20 patients qui se trouvaient dans l’étage où elle travaillait.
“Il y avait du sang partout,” dit l’infirmière en décrivant les chambres des patients. “Mon collègue et moi-même avons oublié nos propres blessures. Nous essayons de soigner les blesses de toutes nos forces et capacités dans un endroit complètement détruit”.
“Au début, j’ai guidé les patients blessés qui pouvait sortir de l’hôpital”. S.K. a expliqué que les urgences étaient détruites. Il n’y avait plus d’électricité. Les corps des victimes étaient allongés par terre et les blessés étaient partout.
“Imaginez comment les blessés arrivaient aux urgences de l’extérieure et de l’intérieure de l’hôpital”.
Elle a ajouté que “le personnel était incapable de traiter les personnes qui avaient besoin d’oxygène…”.
Ali Hareb
C’était un jour de travail tout à fait normal pour Ali et ses collègues. Le bureau était construit en verre et était insonorisé. Mais ils ont entendu les bruits venant du port.
Après la première explosion, le bâtiment a commencé à trembler. Puis il s’est écroulé.
“Nous nous sommes tous envolés de nos chaises. Mes collègues et moi avions du verre partout et notre directrice avait de sévères blessures”, dit-il.
“Un de mes amis de la Croix-Rouge est venu. Dès qu’elle avait vu ma directrice, elle lui conseilla de ne pas se regarder, car elle était gravement blessé et couverte de sang”.
Alors que nous étions en train d’essayer de nous sauver du bâtiment, 2 militaires nous ont prévenu que 2 navires plein de carburant allez aussi brûler.
“Quand nous somme descendue à la rue, nous étions incapables de conduire nulpart, car des pierres couvraient toute la rue même s’il y avait encore des voitures qui fonctionnaient. Entre temps, une femme philippine, nous a arrêté pour nous demander de l’aide”.
La femme philippinne a perdu son œil mais ils ne pouvaient pas lui dire. Elle était désorientée et ne comprenait pas ce qui s’était passé. Hareb et ses collègues l’ont aidé à trouver la Croix-Rouge.
“Après l’explosion, j’ai passé des nuits à faire des cauchemars. J’avais peur de n’importe quel bruit, peur qu’une autre explosion n’ai lieu”.
“Le gouvernement n’a aidé en rien”, dit-il, “notre entreprise nous a soutenu et nous a offert des séances avec un psychologue pour faire face au trauma que nous avons subi”.
G.K., 36 ans
G.K. le jeune homme dans les trentaines a essayé corps et âme de sauver sa famille qui vit aux alentours du port.
G.K. dévoile : “En premier, j’ai essayé de contacter ma famille, mais il n’y avait plus de réseau. Alors j’ai accouru chez moi, mais au début l’ampleur des dégâts et le nombre de corps mort m’ont empêché de les rejoindre. J’étais absolument choqué”.
“Notre maison n’avait plus de mur. J’ai sauvé ma famille qui était ensevelie sous les décombres. Quelques personnes m’ont aidé à transporter les membres de ma famille à l’hôpital alors qu’ils étaient dans un état critique”, continua-t-il.
Les larmes aux yeux G.K. ajouta : “Nous n’avions aucun autre choix que d’installer des tentes et dormir dans la rue”.
Aujourd’hui, ce que le peuple Libanais demande, c’est de vivre dans la paix et dans la sécurité après que l’identité de chaque criminel responsable de l’une des plus grandes tragédies mondiale soit dévoilé et que chacun d’entre eux soit tenu responsable de ses actions.
La scène de peur, de mort et de destruction restera à jamais graver dans la mémoire de tous les survivants et toutes les personnes au Liban. Il ne s’agit pas d’un traumatisme de masse facile à oublier. Ce que les Libanais ont vécu ce jour-là restera un cauchemar douloureux et apocalyptique.
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